Une nuit et un jour passèrent et le vendredi soir arriva. Kenny n’avait pas osé demander à Loan pourquoi il lui avait menti et ce qu’il avait fait la veille au lycée. Il était rentré chez lui sans en savoir plus, mais décidé à connaître la vérité un jour ou l’autre.

            Après une longue journée de cours, il se prépara plusieurs tartines grillées qu’il badigeonna de confiture de fraise. Il fit chauffer un bol de lait chocolaté dans le micro-ondes, et quand tout fut prêt, il posa ce qu’il avait préparé sur la table, il s’assit, et il mangea, en silence. Sa mère n’était pas encore rentrée, mais son premier entraînement de handball commençait dans une heure. Il reprenait des forces avant, car il devait être en forme. Lorsqu’il eut tout englouti, il rangea son assiette et son bol, puis il alla dans sa chambre pour prendre son sac de sport dans lequel il rangea un short large, une paire de baskets, un maillot que son père lui avait offert et qu’il portait souvent, à l’époque où il l’emmenait voir des matchs de hand disputés entre équipes professionnels.

            Il sortit de chez lui, sans oublier de fermer la porte à clé, et il marcha tranquillement jusqu’au lycée. La porte du gymnase était déjà ouverte quand il arriva, alors il entra. Il croisa le professeur qui lui dit d’aller se changer dans les vestiaires, qu’il y avait déjà d’autres joueurs. Sans hésiter, il s’y rendit, et il retrouva deux autres garçons déjà en tenue de sport. Il leur sourit timidement et choisit une place sur un banc. Il posa son sac, et il se déshabilla, face au mur, pour ne garder que son caleçon, puis il enfila son short et son maillot. Presque prêt, il se retourna et s’assit sur le banc pour mettre ses chaussures. Il se retrouva face à ses futurs co-équipiers qui discutaient entre eux. Il envia un moment leur complicité, se demandant si il allait réussir à se faire de vrais amis dans son équipe.

            Les deux garçons durent sentir son regard sur eux, car ils arrêtèrent de parler, et ils le fixèrent amicalement.

-         Tu es nouveau ? Demanda le plus petit des deux, un jeune homme aux cheveux blonds, longs et bouclés, doté d’un visage très fin.

-         Oui, répondit simplement Kenny.

-         Moi, c’est Gauthier, continua l’autre en lui tendant la main.

Kenny hésita, mais il finit par tendre aussi la sienne, et c’est ainsi qu’il fit connaissance avec une autre personne.

-         Comment tu t’appelles ? Voulut savoir le deuxième garçon, d’un ton rassurant, semblant comprendre l’embarras de Kenny.

-         Kenny. Et toi ? Osa-t-il.

-         Je suis Marouane, un ami de Gauthier. Tu fais du hand depuis longtemps ?

Et la discussion dura plusieurs minutes, jusqu’à ce qu’ils doivent sortir des vestiaires pour commencer à s’échauffer. L’entraînement qui suivit fut simple, destiné à remettre les organismes en forme, puis il y eut un match d’une demi-heure, pendant lequel les différents joueurs apprirent à jouer ensemble, à se connaître mutuellement.

            Le professeur finit par donner un long coup de sifflet.

-         C’est fini pour aujourd’hui, dit-il. A la semaine prochaine.

Kenny ramassa le ballon qui roulait à ses pieds, et alla le poser dans la caisse prévue à cet effet. Il fut rejoint par Gauthier et Marouane, et ensemble, ils regagnèrent les vestiaires. Les deux garçons se déshabillèrent pour aller se doucher, mais Kenny se contenta d’essuyer son visage en sueur avec une serviette, et de se changer directement, face au mur une fois encore. Quand il fut prêt, il s’assit sur le banc, et attendit que ses coéquipiers aient fini de se laver.

-         Tu préfères te doucher chez toi ? Demanda Marouane, alors qu’il enfilait son boxer, venant tout juste de sortir des douches, suivi par Gauthier.

-         Si on veut, répondit Kenny, peu enclin à parler de ça.

Marouane le regarda d’une étrange façon, mais il n’insista pas. Gauthier non plus. Kenny baissa la tête, pour éviter de poser ses yeux sur eux. Il n’avait jamais eu de relation sérieuse avec qui que ce soit, et voir un corps nu le mettait très mal à l’aise. Qu’il ait une fille ou un garçon en face de lui, il ne savait pas comment réagir, il n’osait plus bouger, préférant attendre que le mauvais moment passe.

-         On y va ? Finit par dire Gauthier.

Kenny hocha la tête pour montrer son accord, et il se leva. Il prit son sac et il suivit ses deux nouveaux amis. Quand il sortit du gymnase, il était déjà vingt et une heures passées. Il n’avait pas l’habitude de rentrer aussi tard, mais il avait prévenu sa mère,  alors elle ne s’inquièterait pas. Il fit un signe de la main à Gauthier et Marouane pour les avertir qu’il partait, et il marcha jusqu’à chez lui, dans l’obscurité grandissante d’une nuit fraîche de septembre. Il arriva chez lui après quelques minutes. Il alla déposer ses affaires dans sa chambre, puis il se prépara à manger. Il dîna seul, comme souvent, car le soir, sa mère faisait le ménage dans des bureaux en général.

            Pendant tout le week-end, il repensa à ses premiers jours de cours. Il avait rencontré Loan, qui était dans sa classe. Il le considérait à présent comme son ami le plus proche, même s’il lui avait déjà menti. Il l’appréciait, car il était extraordinaire, compréhensif. Il avait aussi fait la connaissance de Marouane et Gauthier, deux joueurs de handball qui seraient ses coéquipiers pour l’année. Ils étaient en terminale, et Kenny en première, mais ils avaient tous les trois le même âge, car Kenny n’était pas allé en cours pendant un an. Ces rencontres permettaient à Kenny d’envisager la suite de sa scolarité d’une façon plus optimiste que ce qu’il avait prévu. Peut-être que tout irait bien dans son nouveau lycée finalement.

            Il ne vit pas le week-end passer, et le lundi matin, la radio de son réveil lui rappela qu’il ne pouvait pas traîner dans son lit. Il devait aller en cours. Il se prépara, déjeuna, et il sortit de chez lui pour marcher jusqu’au lycée. Arrivé à destination, il soupira en pensant qu’une longue journée l’attendait. Il retrouva Loan devant la salle où ils avaient cours, et leur professeur d’histoire arriva avant même qu’ils n’aient pu échanger quelques mots. Ils entrèrent en classe, poussant un gros soupir, et deux heures leur parurent durer une éternité. Quand enfin la sonnerie mit fin à leur calvaire, ils rangèrent rapidement leurs affaires dans leurs sacs, et ils se précipitèrent dans le couloir.

-         Je vais aux toilettes ! Lança Loan. On se rejoint au prochain cours, après la récré.

Kenny hocha la tête et lui sourit, puis il arpenta les couloirs, observant la cour par les fenêtres. Il n’avait pas envie d’aller dehors. La pause durait dix minutes, et il allait la passer seul, car il ne connaissait personne d’autre que Loan. Il y avait bien Marouane et Gauthier, mais il ne savait pas où ils étaient, et il n’avait jamais eu de contact avec eux ailleurs qu’à l’entraînement. Il décida d’aller directement devant la salle de son prochain cours, car il n’avait rien de mieux à faire.

Contrairement à ce qu’il avait dit, Loan n’était pas aux toilettes. Ca n’avait été qu’un prétexte, comme la bibliothèque la dernière fois. Il s’en voulait de mentir à son nouvel ami, mais il n’avait pas le choix. Il ne pouvait pas lui faire ça. Il ne pouvait pas risquer de gâcher sa vie, même s’il était persuadé que si Kenny apprenait la vérité, il la garderait pour lui et ne dirait rien à personne.

            Il chassa les mauvaises idées de son esprit et pensa à ce qui l’attendait à quelques mètres. Il sourit et vérifia qu’il n’y avait personne dans le couloir, puis il entra discrètement dans une salle. Ce qu’il faisait était dangereux, car il pouvait se faire surprendre à tout moment, mais il en avait besoin, chaque seconde, chaque minute. C’était plus fort que lui.

-         T’es en retard, entendit-il, alors qu’il refermait la porte derrière lui.

Il sourit, sachant qu’il n’y avait aucun reproche dans la phrase qui venait d’être prononcée.

-         Je t’ai manqué ? Demanda-t-il, en marchant jusqu’à la fenêtre.

Il n’attendit pas de réponse, et enlaça la personne qui admirait le paysage, immobile. Elle frissonna lorsque Loan caressa ses hanches, et ce dernier s’en amusa. Il continua son manège, jusqu’à ce qu’il se retrouve plaqué au mur, les yeux plongés dans ceux de l’homme qui lui faisait face.

-         Eh bien, Monsieur Bedyll, on est pressé aujourd’hui, le taquina-t-il.

Le dit Monsieur Bedyll ne prit pas en compte cette intervention et attrapa sauvagement les lèvres de Loan, qui répondit à son baiser, se laissant emporter par un flot de sensations qui lui semblaient chaque jour plus fortes. Il entoura le cou de l’homme de ses bras lorsque celui-ci interrompit leur échange pour déposer ses lèvres dans la nuque de Loan et la lécher sensuellement, tout en frottant son bassin déjà enflammé à celui de l’élève.

-         Lilian, arrête, souffla Loan.

Mais ses protestations ne furent pas entendues, et l’homme continua ses mouvements, excitant Loan un peu plus chaque seconde.

-         Tu veux vraiment que j’arrête ? Demanda Lilian, la voix rauque.

-         Ou…o…oui, balbutia Loan.

Il n’était pas très convaincant, mais il le pensait vraiment. Ils ne pouvaient pas aller plus loin au lycée. C’était trop risqué. Ils avaient dépassé le stade du baiser une seule fois, et ils avaient échappé de justesse à l’entrée d’un professeur dans la salle. Celui-ci s’était ravisé au dernier moment, sans raison apparente, et était reparti là d’où il venait. Depuis, Loan et Lilian se voyaient chez l’un ou chez l’autre, mais dans l’établissement, ils ne s’autorisaient que de rares baisers.

-         Et si moi j’ai pas envie ? Continua Lilian, caressant à présent le bassin de son amant avec sa main. T’as raison, tu m’as manqué depuis samedi.

-         Deux jours, c’est pas si…

Lilian n’eut pas le temps de terminer sa phrase car un bruit sourd les fit revenir à la réalité. Ils s’éloignèrent automatiquement l’un de l’autre, comme deux proies sentant venir le danger, et ils fixèrent la porte pendant un moment.

-         Ca a cogné contre la porte, non ? Dit Loan.

-         Je vois pas ce que ça aurait pu être d’autre, répondit Lilian.

-         C’est bizarre, on dirait qu’il y a personne…

-         Vaut mieux être prudents. Tu vas sortir, et on se rejoint en cours dans cinq minutes.

Loan alla échanger un dernier baiser avec son amant, puis il sortit de la salle, regardant partout, effrayé d’avoir été surpris. Ils avaient eu si peur que leur excitation était retombée d’un coup, et d’un côté, ça l’arrangeait. Il n’aurait pas à faire un arrêt aux sanitaires. Il pouvait aller rejoindre Kenny sans avoir de bosse anormale entre les jambes. Il parcourut une dizaine de mètres et tourna à gauche dans une autre couloir. Il se retrouva au milieu d’autres élèves de sa classe, attendant que leur professeur arrive. Il chercha Kenny des yeux, et il s’approcha de lui.

-         Il t’en a fallu du temps pour pisser ! Lui lança Kenny.

Etonné, Loan ne trouva rien à répondre. Son ami avait raison. Il aurait pu trouver une excuse plus crédible, car passer presque dix minutes aux toilettes n’était pas une chose dont il avait l’habitude.

            Un léger malaise s’installa entre eux, interrompu furtivement par l’arrivée de leur professeur d’anglais. Dès qu’ils furent assis l’un à côté de l’autre, ils se retrouvèrent gênés à nouveau. Ils ne se parlèrent pas jusqu’à la fin de journée, Loan osant à peine jeter des coups d’œil à son ami qui avait l’air tourmenté.

            Kenny, plongé dans ses pensées, repensait à ce qu’il avait vécu, à ce qu’il ne voulait pas voir se reproduire. Il devait sauver Loan pour ne pas qu’il lui arrive la même chose qu’à lui. C’était peut-être déjà trop tard, mais il devait essayer. A présent, il savait pourquoi Loan lui mentait. Quand il était passé devant une salle voisine, il aait entendu des bruits étouffés. Il n’y avait d’abord pas prêté attention, mais sa curiosité avait été trop forte. Il s’était approché discrètement de la porte et s’était accroupi. Après avoir vérifié qu’il était seul dans le couloir, il avait posé un œil sur la serrure, et ce qu’il avait vu alors l’avait marqué. Il n’aurait jamais imaginé que Loan sortait avec leur professeur d’anglais. Monsieur Bedyll. Il l’appellait par son prénom, et lui parlait du passé, alors leur relation ne devait pas être récente. Malheureusement, il n’avait pas pu en voir plus, car il avait maladroitement glissé sur la bandoulière de son sac, et il s’était cogné la tête contre la porte, provoquant un choc trop bruyant pour passer inaperçu. De peur d’être découvert, il s’était enfui en courant, jusqu’à la salle de leur prochain cours. Leur cours d’anglais.

            Il n’allait pas en parler à Loan et faire comme s’il ne savait rien. Leur professeur était charmant, certes, mais il restait un professeur, un homme, et Kenny était persuadé que tôt ou tard, il ferait du mal à Loan. Il devait empêcher ça. Plus il observait Monsieur Bedyll, plus son plan d’exécution prenait forme dans sa tête. Loan lui en voudrait, sûrement, mais c’était pour son bien, et il s’en rendrait compte. Kenny allait lui montrer que tous les professeurs sont des salops, et ainsi, Loan serait triste pendant un certain temps, mais pas au point de tomber aussi bas que lui.

            A la fin de la journée, Kenny et Loan se séparèrent sans même se faire un signe de la main en guise d’au revoir. Deux jours passèrent ainsi, sans qu’ils ne s’adressent la parole, et ce fut mercredi soir que Loan décida de rendre visite à Kenny. Hésitant, il sonna à la porte, et quand il lui ouvrit, Kenny le laissa passer, mais il resta indifférent. Il ne le lui dirait pas, mais il était content que son ami revienne vers lui. Il n’avait pas voulu de cet éloignement, mais il en avait eu besoin pour réfléchir, et Loan lui avait manqué.

- Tu veux boire quelque chose ? Demanda Kenny.

- Non, c’est bon, je voudrais juste qu’on parle, répondit Loan, en se tordant les doigts.

Il suivit Kenny, qui l’invita à s’installer dans le salon.

-         T’es tout seul ? Reprit Loan.

-         Ma mère est au boulot, expliqua Kenny.

-         Et ton père ?

-         Je préfère pas en parler, pas encore.

Loan fut étonné, mais il ne dit rien. Il attendrait que Kenny soit prêt à lui raconter son histoire. Il en savait déjà beaucoup, plus que certains, et ça lui suffisait.

-         Ecoute, continua Kenny. Je sais pas pourquoi c’est comme ça en ce moment entre nous, mais j’en ai marre. J’aimerais que ça redevienne comme avant, qu’on se dise tout.

-         Moi aussi, dit simplement Loan.

-         Plus de secrets alors ?

-         Plus de secret.

Leur conversation laissa place à un silence apaisant, pendant lequel ils savourèrent intérieurement leur joie de se retrouver, grâce à de simples mots. Kenny avait menti, il savait pourquoi ils s’étaient retrouvés dans cette situation, mais il ne voulait pas avouer à Loan qu’il l’avait vu avec leur professeur. C’était trop tôt. Malgré leur promesse, ils avaient encore des secrets qu’ils ne voulaient pas dévoiler. Ce ne fut qu’après plusieurs minutes que Kenny reprit la parole, dévoilant une partie de sa vie qu’il gardait souvent pour lui.

-         Mon père habite plus ici depuis plus d’un an maintenant…

Loan n’intervint pas, préférant laisser à son ami le temps de trouver ses mots. Il allait apprendre quelque chose d’essentiel, il le sentait. Il allait devoir être là, pour lui, il en était certain quand il percevait la difficulté avec laquelle Kenny prononçait ses derniers mots.

-         Avant, on était heureux, on était tous les trois, mais ils sont venus le chercher, alors qu’il voulait simplement me protéger…

Kenny pleurait. Sans qu’il ne s’en rende compte, les larmes coulaient sur ses joues. Il en parlait rarement, alors il était submergé par l’émotion. Sa voix tremblait, et Loan était attristé par son air désemparé.
           -    Il est plus là, parce qu’il est en prison…

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Voilà un nouveau chapitre. Je n'en ai pas posté pour cette histoire depuis longtemps. J'espère que vous suivez toujours malgré tout!
Gros bisous à tous et à toutes.

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