Le père de Kenny était en prison… Loan
ne s’attendait pas à ça. Ca expliquait la tristesse qu’il pouvait parfois déceler dans les yeux de son ami. Il aurait voulu savoir ce que son père avait fait pour être incarcéré, mais il
comprenait que ce n’était pas le moment de poser des questions. Il ne réfléchit pas plus longtemps, et il s’approcha de Kenny. Celui-ci fut surpris de la soudaine proximité de Loan, mais il se
laissa approcher et il autorisa son ami à le prendre dans ses bras, alors qu’habituellement, il détestait qu’on le touche. Il avait besoin d’un contact humain et affectif, pour une fois. Loan
était la personne la plus apte à l’aider, car son père ne pouvait rien faire pour lui, et sa mère n’était pas en été de s’occuper de quelqu’un d’autre tant elle avait déjà du mal à prendre soin
d’elle.
-
Ca va aller, murmura Loan, alors qu’il sentait les larmes de Kenny tomber
dans son cou.
Il le réconforta autant qu’il put, mais il n’obtint pas de grand résultat. Lorsqu’il lâcha Kenny,
ce dernier était toujours en pleurs, se retenant de ne pas gémir trop fort. Il était assez mal à l’aise de se montrer aussi faible devant son ami. Il ne voulait pas avoir l’air plus ridicule en
émettant des bruits incongrus.
-
Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Osa demander Loan.
-
Je sais pas, j’ai pas l’habitude de parler de lui, alors tout est revenu d’un coup, et j’ai craqué. J’ai pas pu
m’empêcher de pleurer, répondit Kenny.
-
Ca, je l’ai bien compris, mais c’est pas ce que je voulais dire. Qu’est-ce qu’il s’est passé avec ton
père ?
Il n’eut pas de réponse immédiate, et il put voir les traits de Kenny se crisper, son visage se
fermer. Après quelques longues secondes de silence, Kenny prit la parole, et Loan n’eut pas un seul instant l’envie de lui tenir tête tant son ton était froid. Le sujet paraissait sensible – il
aurait été anormal qu’il ne le soit pas – alors il ne comptait pas insister si c’était pour se mettre son ami à dos.
-
Je n’ai aucune envie d’en
parler, lança Kenny.
Il quitta le canapé sur lequel il était assis, et il marcha jusqu’à la cuisine pour prendre à
boire. Alors qu’il se servait un verre d’eau, Loan entra dans la pièce. Il l’avait suivi car il ne voulait pas qu’un malaise s’installe à nouveau entre eux. Pourtant, ce ne fut pas lui qui
relança la conversation, et le sujet qu’aborda Kenny le surprit. Il ne s’attendait pas à ça.
-
Je t’ai vu lundi avec le prof d’anglais,
lança le jeune homme, appuyé contre l’évier, dos à son ami.
Loan s’immobilisa, et il sentit un frisson désagréable lui parcourir l’échine. Il n’avait pas rêvé
alors. Il avait bien entendu quelque chose lorsqu’il embrassait son amant. Parmi tous les élèves, il avait fallu que ce soit Kenny qui les surprenne. D’un côté, ça l’arrangeait, car il savait
qu’il ne le dénoncerait pas, contrairement à d’autres, mais d’un autre côté, il appréhendait sa réaction, car même si Kenny était son ami, il venait de découvrir que son meilleur camarade avait
une relation avec un professeur, et ce n’était pas forcément évident à comprendre ou à accepter.
Etonné par le manque de réaction de Loan, Kenny se retourna et il dévisagea son ami, jusqu’à ce que
celui-ci ose lever la tête pour le regarder dans les yeux.
-
Je suis désolé, j’aurais du t’en parler, fut tout ce que Loan trouva à
dire.
-
Tu aurais du, oui, mais tu ne l’as pas fait ? Tu ne me fais pas confiance ?
-
Si, bien sûr, mais moins y’a de personnes au courant, mieux c’est. Pour lui, faudrait pas que ça s’ébruite, c’est sa
place qui est en jeu.
-
Je me doute, oui…
Un court silence s’installa, pendant lequel les deux jeunes hommes réfléchirent à leur situation.
Il fut rapidement interrompu par Kenny.
-
J’ai beau essayer de comprendre, j’y arrive pas. Il est vieux, c’est un prof. T’aurais pu trouver mieux comme gars, et
surtout, si t’avais choisi quelqu’un d’autre, ça aurait été moins compliqué pour toi.
Son ton n’était ni blessant, ni empli de reproches. Il donnait son avis, simplement, car il
s’inquiétait pour son ami, et Loan le comprenait. Il ne lui en voulait pas de penser ainsi, d’autant qu’il avait raison. Il dut néanmoins lui expliquer pourquoi il ne pouvait renoncer à sa
relation avec Lilian.
-
Je m’en fiche de tout ça. Je cherche pas un jeune ou une bombe, ni une relation où tout est rose. Il a été là quand j’ai
eu besoin d’un soutien, il m’a aidé à m’en sortir quand j’étais au plus bas. Je lui dois tout. C’est moi qui l’ai embarqué dans cette histoire, mais je regrette rien. On doit être prudent, c’est
tout, et si je dois me cacher pour l’aimer, je le ferai. C’est comme ça, c’est tout.
-
Ca fait longtemps ? Demanda Kenny, mettant les paroles de son ami de
côté pour un temps. Apparemment, Loan avait traversé des moments difficiles, dont il ne lui avait jamais parlé, mais il attendrait pour en savoir plus. Il avait lui-même vécu des choses dont il
ne lui avait pas encore fait part, et c’était peut-être mieux comme ça.
-
Depuis plusieurs mois. C’était déjà mon professeur l’an dernier, en seconde. Il est le seul à avoir remarqué que
j’allais pas bien, alors il m’a écouté. On discutait après les cours. Je lui ai tout raconté, parce que je savais que je pouvais lui dire sans avoir peur qu’il me juge. Il a su trouver les mots
pour que je reprenne confiance en moi. Depuis que je suis avec lui, je vais mieux, même si je pourrai jamais oublier. Un jour, je t’en parlerai, mais pour l’instant, je peux
pas.
-
…
-
Puis il est pas si vieux que ça, il a que vingt-six ans, ajouta Loan, pour
alléger l’ambiance que venait de provoquer sa longue tirade.
Kenny sourit, puis il changea de sujet. La conversation était close, et ils retournèrent à leurs
activités, dignes de deux amis lycéens.
Quand la nuit commença à tomber, Loan s’en alla et rentra chez lui. Il était déjà tard, alors Kenny
décida de dîner, sans attendre sa mère. Il avait l’habitude de manger seul, car elle rentrait souvent tard. Pourtant, il s’était à peine installé à table lorsqu’il l’entendit arriver, refermant
la porte derrière elle. Il se leva pour aller la saluer, content de la voir avant d’aller se coucher, mais sa joie fut de courte durée. Il s’arrêta à quelques centimètres d’elle, et elle le prit
furtivement dans ses bras. Elle déposa un baiser maternel sur sa joue, puis elle alla s’enfermer dans sa chambre, sans laisser à Kenny le temps de la retenir. Le jeune homme retourna dans la
cuisine pour terminer son repas, seul..
Il s’inquiétait pour sa mère. Leurs vacances en Angleterre ne semblaient pas lui avoir fait autant de
bien qu’elle le prétendait. Les jours qui avaient suivi leur retour en France, elle avait paru en forme, mais depuis la rentrée des classes, elle avait retrouvé sa mine triste et son allure
fantomatique. Ses gestes étaient redevenus automatiques, guidés par un simple instinct de survie. Elle tentait de dissimuler son mal être devant son fils, car elle était encore assez lucide pour
ne pas se morfondre devant lui, alors qu’il semblait à peine reprendre goût à la vie. Mais Kenny ne rentrait pas dans son jeu. Il savait qu’elle n’allait pas bien, et qu’elle ne se remettait pas
de tout ce qui avait brisé leur famille. Il l’entendait souvent pleurer, seule, et il n’avait jamais trouvé le courage d’aller la réconforter. Il ne le montrait pas, mais il était presque dans le
même état d’esprit qu’elle. Son père lui manquait, autant que sa mère, lorsqu’elle était encore la joie de vivre incarnée, lorsqu’ils étaient heureux, tous les trois. Mais il savait qu’il n’y
avait rien à dire, rien à faire pour qu’elle redevienne comme avant. Il était trop tard. Ce n’était pas de sa faute, elle le lui avait assez répété, son père aussi, et il avait fini par le
croire, mais il culpabilisait lorsqu’il la voyait aussi malheureuse. Elle n’était plus qu’une ombre, et tout ça à cause d’une seule personne. Lui.
Kenny secoua la tête, pour arrêter de repenser au passé. Depuis qu’il était sorti de son mutisme, ses
souvenirs étaient de plus en plus espacés, mais ils n’en étaient pas moins douloureux. Malgré le temps, malgré les mois passés, il n’arrivait pas à sortir cet homme de sa tête. Cet homme qui
avait tout gâché. Sa vie, sa famille. Il était responsable de tout, du mal être de Kenny jusqu’à l’emprisonnement de son père, et il était libre. Personne ne connaissait sa véritable
personnalité. Personne n’avait cru Kenny. Personne, sauf ses parents, et ils en avaient payé le prix. Pendant longtemps, il avait voulu se venger, mais il n’avait pas su comment s’y prendre, et à
présent, il préférait profiter du répit et de la possible seconde chance qu’on lui offrait. Il voulait vivre à nouveau. Pour cela, il devait apprendre à vivre avec ses blessures passées, ne plus
trembler en se rappelant son année de seconde dans son ancien lycée.
Les jours passèrent, et après trois semaines de cours, Kenny était toujours à l’aise au lycée, à sa
plus grande surprise. Sa complicité avec Loan se renforçait de jour en jour, et Gauthier et Marouane étaient devenus de très bons amis à lui, même s’il les voyait rarement dans les couloirs de
l’établissement, mais le plus souvent lors des entraînements de basket. Ils s’entendaient aussi bien sur le terrain, et le jeu que produisait leur équipe, notamment grâce à eux, promettait de
grands matchs à venir lorsqu’ils commenceraient à rencontrer les équipes des autres lycées du département.
Un mardi matin, il sortit de cours. C’était l’heure de la récréation. Il alla dehors, accompagné de
Loan, et il croisa Gauthier sur le chemin.
-
Le proviseur veut te voir dans son
bureau, déclara ce dernier.
Kenny en fut étonné, mais il ne chercha pas à connaître les raisons de cette demande. Il remercia
son ami de l’avoir prévenu – Gauthier était un des délégués du conseil des élèves, le proviseur devait lui avoir demandé s’il connaissait Kenny lors d’une entrevue – et il dit à Loan qu’il le
rejoindrait au prochain cours, puis il marcha jusqu’au bureau du proviseur. Son calme apparent trompait tout le monde, mais au fond de lui, il paniquait. Pourtant, il ne pouvait pas repartir en
arrière. Il n’avait pas le choix. Arrivé à destination, il frappa à la porte, et on lui permit rapidement d’entrer.
Il entendit à peine le proviseur le saluer, et il s’assit dans le siège en face de lui. Il venait
d’arriver, mais il ne suivait déjà plus la conversation. Il percevait les sons émis par son professeur, mais il n’en saisissait pas le sens.
-
Pourquoi as-tu un trou d’un an dans ton dossier ? Fut la seule phrase qu’il réussit à comprendre.
Mais il n’arriva pas à prononcer le moindre mot pour répondre à son proviseur. Il étouffait dans ce
bureau, dont il avait fermé la porte en entrant. L’homme qu’il avait en face de lui n’était pas un professeur, mais c’était du pareil au même. Il était proviseur, et sa position ne rassurait pas
Kenny, au contraire. Il était encore plus haut placé, et il ne pourrait pas lui tenir tête, si un jour il avait à le faire. Tout le mondre croirait cet homme qui semblait si respectable, même
s’il mentait. Kenny ne voulait pas revivre la même chose. Il avait déjà trop souffert. Il n’avait pas eu à se retrouver dans un bureau si étroit depuis le début de l’année, et ça l’avait rassuré.
A présent, il perdait tous ses moyens. Il se sentait mal. Tout lui revenait, en détails. Lui, le décor, la lumière, les couleurs, les blessures, les bruits. Tout résonnait et se mélangeait dans
sa tête. Il se sentit partir, et il tomba subitement à terre, inconscient, devant l’air d’incompréhension du proviseur, qui ne comprenait pas ce qui venait de se passer. Il n’avait pas eu
l’impression que son élève était malade ou fébrile, alors cet évanouissement soudain le surprit.
Kenny se réveilla deux heures plus tard. Allongé sur un lit, un drap blanc recouvrant ses jambes, il
se souvint de ce qu’il s’était passé, et il comprit pourquoi il était à l’infirmerie. Lorsqu’une infirmière vint voir s’il dormait toujours, il demanda à voir le proviseur, mais il insista pour
ne pas aller dans son bureau.
-
J’aimerais qu’il vienne ici, à l’infirmerie, dit-il.
L’infirmière n’essaya pas de le faire changer d’avis. Elle avait déjà soigné des cas plus étranges
que le sien, et elle savait qu’il ne fallait pas aller contre les besoins des malades. Il y avait toujours une raison, une explication à leur comportement. Elle sourit à Kenny, et sortit de la
pièce pour aller chercher le proviseur. Celui-ci fut étonné par la réclamation de son élève. Il ne comprenait pas sa réaction. L’infirmerie n’était pas un lieu plus agréable que son bureau, loin
de là. Pourtant, il accéda à la requête de Kenny, car il ne voulait pas que le jeune homme s’évanouisse à nouveau. Sans tenter d’en savoir plus, même s’il allait devoir interroger Kenny dans les
jours à venir sur son comportement inhabituel, il quitta son bureau pour aller le rejoindre à l’infirmerie.
***
Voilà un nouveau chapitre.
Je me replonge dans cette histoire, mais je n'oublie pas Simplement Différent, j'ai déjà commencé à écrire la suite^^
Merci d'être toujours là, merci aux nouveaux abonnés. Je ne sais pas qui vous êtes, mais ça ne fait rien. Je sais que vous êtes là, c'est
l'essentiel^^
Bisous à tous et à toutes.
Je t'adore mon Loulou, merci pour tout, pour ton avis.
A très bientôt.
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