Le lendemain matin, Morgan se réveilla, l’esprit embrumé. Il se
frotta les yeux, puis il essaya de comprendre où il était. Quand il se souvint de la nuit qu’il venait de passer et de tout ce que Nuno et Tristao lui avaient fait, il se figea. Il se demandait
comment il en était arrivé là. Il aurait pu coucher avec Tristao à n’importe quel moment, car malgré les mois passés, il l’aimait toujours, mais pour Nuno, c’était différent. Il n’aurait jamais
cru qu’ils se retrouveraient un jour dans le même lit, agissant autrement que comme des amis.
Il se leva, sans
remarquer qu’il n’y avait plus que Nuno sur le canapé. Il se dirigea vers la cuisine afin d’aller se chercher un verre d’eau, mais il arrêta de marcher lorsqu’il aperçut Tristao. Ce dernier
dégustait tranquillement un bol de céréales trempant dans du lait, les yeux dans le vide. Il leva la tête quand il entendit quelqu’un arriver, et quand il se rendit compte que c’était Morgan, son
regard se durcit. Morgan frissonna. Il n’avait encore jamais vu cette lueur dans les yeux de son ami.
- T’es encore là, lança Tristao, froid,
avant de retourner à son occupation.
Morgan se sentit alors très triste. Tristao lui en voulait, c’était évident. Il le tenait pour responsable de ce qu’il venait de
se passer. Il n’avait pas tout à fait tort, car c’était lui qui avait fait le premier pas, mais s’il l’avait voulu, Tristao aurait pu le repousser. Il ne l’aurait pas forcé.
- Me mets pas tout sur le dos, finit-il par
déclarer. Tu t’en prends qu’à toi-même si tu te retrouves à baiser avec ton mec et ton ex en même temps
Tristao fut étonné par les propos crus de son ami. Morgan parlait rarement ainsi. Pourtant, il n’en montra rien. Il se contenta de
garder son air impassible. Il ne voulait pas de confrontation violente.
- Va-t-en, dit-il simplement.
Morgan récupéra ses affaires, et quitta l’appartement, sans contredire son ancien petit ami. Il était déçu par son attitude, par
son hypocrisie, mais il préféra se taire. Il n’avait pas le courage de l’affronter, car face à lui, il perdrait, il le savait. Il finirait toujours par le laisser gagner.
Tristao le regarda
partir, aucun signe extérieur n’exprimant une quelconque émotion. Mais au fond de lui, il s’en voulait. Il se reprochait d’avoir jeté son ami de cette façon, car il ne l’avait pas
mérité.
Quand Nuno l’enlaça sans
qu’il ne l’ait vu arriver, il se sentit coupable une nouvelle fois. Pas parce qu’il avait été impoli avec Morgan, mais parce qu’il n’avait pas repoussé ses avances. Il avait l’impression d’avoir
trompé Nuno, même si celui-ci avait pris part à l’action quand il les avait trouvés en plein ébat.
- Excuse-moi, articula-t-il, d’une voix
timide.
- T’as pas à t’excuser Tris’, répondit
Nuno. C’était un accident, puis on l’a fini ensemble. C’est pas grave. Je t’en veux pas, moi.
Comme pour confirmer ses paroles, il l’embrassa, et leur baiser n’avait rien de différent par rapport à d’habitude.
Les jours qui suivirent
cet incident, Morgan fit tout pour s’en remettre, mais il avait été détruit, encore une fois, et il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même, car il savait dans quoi il mettait les pieds, mais il
s’y était jeté dedans tête baissée, encore une fois. Il rumina ses idées noires longtemps, allant jusqu’à pleurer le soir, seul dans son lit, en imaginant l’homme qu’il aimait heureux dans les
bras d’un autre.
Un jour, alors qu’il
était installé à une table de la cafétéria du lycée sans la moindre compagnie, et qu’il mangeait son croque-monsieur, un garçon très joyeux vint s’asseoir en face de lui. Il ne leva pas les yeux
quand il l’entendit tirer une chaise, car il avait l’habitude de prendre son déjeuner au milieu de gens qu’il ne connaissait pas. Quand il eut fini ce qu’il considérait comme son repas, il se
leva et alla jeter son assiette et ses couverts en plastique dans la plus proche poubelle. Accidentellement, son regard se posa sur l’individu assis près de lui quand il revint à sa place. La
main gauche posée sur le dossier de sa chaise, et la droite pendant mollement le long de ses hanches, il ne pouvait plus esquisser un geste, car le jeune homme ressemblait énormément à Tristao.
Dans sa tête, il voyait défiler leurs moments passés ensemble, qu’il n’arrivait pas à oublier.
Son voisin de table dut
remarquer son regard insistant, car il lui sourit.
- Bonjour, je suis Artur, dit-il à Morgan
en lui tendant une main chaleureuse.
Pourtant, Morgan n’apprécia pas cette tentative d’approche. Il s’enfonça dans sa chaise, sans réfléchir. Il
se rendit compte plus tard qu’il aurait mieux valu qu’il s’en aille. Il n’avait aucune raison de rester là où il était alors qu’il avait fini de manger. Il vit l’autre baisser sa main, légèrement
vexé, mais il ne réagit pas.
- J’étudie les sciences et les techniques des activités physiques et sportives, insista
le nouveau venu. Et toi ?
Morgan lui jeta à peine un coup d’œil suite à cette phrase, mais il suffit à glacer Artur sur place, qui n’osa plus rien dire. Il
avait essayé de faire connaissance, mais apparemment, ça n’était pas chose facile dans leur université. Il avait bien rencontré quelques personnes intéressantes dans ses différentes classes, mais
rien qui ne puisse glisser vers une solide amitié. Artur avait toujours été entouré d’amis, et se retrouver seul l’ennuyait un peu. Ce n’était pas le garçon en face de lui qui allait arrangeait
les choses, sûrement pas. Contrairement aux apparences, il était comme les autres, aussi peu sociable.
Le reste de la journée
fut bien monotone pour Morgan, qui errait dans les couloirs ou allait en classe simplement pour être en accord avec sa conscience. Il n’aimait pas sécher, par principe, mais il y avait quand même un cours auquel il n’assistait jamais : celui qu’il avait en commun avec Tristao. Il oublia bien vite le jeune homme rencontré à
midi, même si, sur le coup, celui-ci l’avait perturbé plus qu’il ne l’aurait cru. Les mêmes cheveux, les mêmes yeux, le même teint. Il avait trop de points communs avec son amour perdu, mais il
réussit malgré tout à le sortir de son esprit.
Il sortait de la fac, et
s’apprêtait à rentrer chez lui, quand son portable vibra. Il décrocha, et on lui annonça une nouvelle qui ne lui fit aucun effet particulier, si ce n’est provoquer chez lui un soupir de
soulagement peu discret. Toute personne normalement constituée aurait été effondrée, mais pas lui. Ses parents étaient morts, tous les deux, dans un accident de voiture, et il n’en ressentait
aucune peine. Il n’était pas heureux non plus, ça aurait été mal venu, mais à présent, il était libre et riche, héritant de la petite fortune de son père. Il n’aurait jamais à annoncer à ses
géniteurs qu’il était gay, et c’était pour lui un poids en moins. Il était peut-être ignoble, mais il se sentait déjà assez malheureux, il ne voulait pas s’apitoyer encore plus sur son sort. Il
n’avait jamais souhaité leur mort, loin de là, mais ses parents n’auraient été qu’une entrave à son bonheur, aussi infime soit-il.
Morgan fut convoqué
quelques temps plus tard chez le notaire pour régler la succession. Etant fils unique et majeur, il put tout recevoir, et son compte en banque devint une mine d’or. Convaincu qu’il avait alors
assez d’argent pour mener une vie aisée et tranquille jusqu’à la fin de ses jours, il arrêta définitivement d’aller en cours. Il passait ses journées à flâner dans les rues, achetant ce qu’il lui
plaisait. Le soir, il sortait dans différents endroits et il rencontrait des hommes, avec qui il passait ses nuits.
Tristao apprit la mort
des parents de Morgan, mais il ne fut pas mis au courant de cette vie que menait son ami. Il s’inquiéta quand il ne le vit plus à l’université. Il se demandait où Morgan était passé. Le
connaissant, il avait dû être très blessé par son rejet, après tout ce qu’il lui avait déjà fait enduré. Le sort s’acharnait sur lui, et Tristao avait peur qu’il ait fait une bêtise. Ses yeux
s’embuaient lorsqu’il y pensait. Malgré tout ce qu’il s’était passé entre eux, dans son cœur, Morgan était toujours son ami. Ils se connaissaient depuis des années et ce n’était pas facile de
tout oublier.
Il en parla à Nuno
lorsque celui-ci voulut savoir ce qui tourmentait son amant. N’aimant pas voir l’homme qu’il aimait soucieux, Nuno décida d’agir de lui-même. Un jour qu’il était seul dans l’appartement, il
sortit et il se rendit chez Morgan pour prendre de ses nouvelles. Il sonna, et il ne reconnut qu’à moitié son ami quand celui-ci lui ouvrit, à moitié nu, les cheveux en bataille et le visage
cerné. Un rictus de dégoût, voire de pitié, déforma son visage, jusqu’à ce qu’un autre garçon apparaisse dans son champ de vision. Ce dernier était habillé, mais il paraissait sortir d’un champ
de bataille tant ses vêtements étaient désordonnés. Il s’approcha de la porte d’entrée ouverte, que Nuno bloquait, toujours debout en plein milieu. Il s’excusa, et Nuno le laissa
passer.
- A bientôt, Artur ! Cria Morgan alors
que le jeune homme concerné disparaissait déjà derrière le portail de la maison.
Nuno était désolé pour son ami. Il était triste que Morgan en soit arrivé là, mais il ne le montra pas. Il se contenta d’arborer
un air agacé.
- Je veux pas savoir pourquoi tu fais ça Morgan, mais faudrait être aveugle pour pas voir
que ce gars est le portrait craché de Tris’, avec dix centimètres de moins ! Qu’est-ce que tu fous bordel ?! Pourquoi t’es devenu comme ça ? Tu te laissais pas abattre avant, tu
relevais toujours la tête au lieu de t’enfoncer dans des conneries pareilles, à rester enfermé chez toi et baiser le sosie du type que t’auras plus jamais l’occasion de
sauter !
Ses propos étaient méchants et grossiers, mais il voulait que Morgan réagisse, et c’était le seul moyen. S’il lui parlait poliment
et gentiment, l’autre aurait le dernier mot. Ne recevant qu’un sourire narquois de la part de son ami, il continua sa tirade.
- Je veux t’aider Morgan. Reviens en cours, et tu finiras par trouver un gars pour toi.
T’as pas besoin de coucher à droite et à gauche !
- Mais j’en ai trouvé un, l’interrompit Morgan. Il est très mignon…
- Il ressemble à Tris’ surtout.
Nuno pouvait voir le visage de son ami trembler légèrement à chaque fois qu’il prononçait le nom du garçon qu’ils aimaient tous
les deux. Morgan avait l’air impassible et sûr de lui, mais ce n’était qu’une façade. Il était loin d’être insensible au discours de son ami. Pourtant, il ne devait pas l’écouter, car il allait
sombre à nouveau. Sa nouvelle vie ne lui plaisait pas, mais elle était sans contrainte, sans engagement, sans peine de cœur, et c’était ce dont il avait besoin. Du sexe, purement et simplement.
De la débauche, sans penser à l’avenir ou aux conséquences.
- J’en veux pas de ton aide, finit par déclarer Morgan. Ma vie, c’est pas ton
problème.
Déçu, Nuno n’insista pas. Il savait que ça ne servirait à rien. Il s’en alla, sans apercevoir la mine triste et fatiguée de son
ami. Quand il franchit la porte, il croisa un jeune homme. Un de plus, se dit-il. Il ralentit ses pas, et la phrase que Morgan prononça acheva de rendre son cas désespéré.
- Salut chéri.
Le garçon meurtri avait remis son masque d’homme solitaire.
Dégoûté, mais surtout
très inquiet, Nuno accéléra. Dans la rue, il tomba nez à nez avec Artur, qui était assis sur un muret, remuant ses jambes l’une après l’autre.
- Salut, dit Nuno, en s’installant à côté de lui.
- Salut, répondit Artur, sans lever la tête, la voix tremblante.
- Ca va pas avec Morgan ?
Cette question déclencha la curiosité d’Artur, qui, malgré ses yeux rougis, osa affronter le regard de son vis-à-vis. Cet homme,
il l’avait entendu réprimander Morgan, même s’il n’avait pas tout entendu. S’il réussissait à lui tenir tête, il devait avoir un sacré caractère, car lui n’y arrivait jamais. La première fois
qu’il avait croisé Morgan, il s’était trompé. Il l’avait cru peu sociable, alors qu’en réalité, il était simplement réservé et pas très expansif, à cause de plusieurs choix qu’il avait faits dans
sa vie mais dont il n’avait jamais voulu parler à Artur.
- Hé, t’es toujours avec moi ? Reprit Nuno, alors qu’Artur admirait un point
vide, au loin.
L’autre baissa la tête, rouge de gêne, puis sans savoir pourquoi, il se confia à l’homme qui lui tenait compagnie, mais qu’il ne
connaissait ni d’Eve ni d’Adam.
- La première fois que je lui ai parlé, j’aurais jamais imaginé ça. Il ne m’avait même
pas adressé un mot. Puis un jour, je l’ai recroisé devant un amphi. Il avait l’air de chercher quelque chose. J’allais passer près de lui sans rien dire, vu qu’on était même pas ami, mais c’est
lui qui a voulu discuter. Il m’a donné son adresse et son numéro, alors on a commencé à se voir tous les week-ends. Au début, on faisait que sortir et draguer les mecs. J’ai vite compris que si
je m’énervais quand il touchait un gars, c’était pas parce que j’avais peur qu’il fasse n’importe quoi, mais plutôt parce que j’étais jaloux.
Artur s’arrêta un instant, laissant à Nuno le temps d’enregistrer ce qu’il venait de lui raconter. Il hésita à continuer, mais un
sourire bienveillant de son confident le poussa à aller jusqu’au bout. Il chercha ses mots, puis il reprit son récit.
- Un jour, alors qu’on était chez lui, il a commencé à me toucher. J’ai pas pu résister,
alors on a fini par faire l’amour. Ou plutôt par baiser comme il dit. Après, on s’est vu plus souvent. De tous les week-ends, c’est passé à plusieurs fois par semaine, et à chaque fois, je me
retrouvais nu dans un des pièces de la maison. Je me disais que c’était que du sexe, et ça me convenait, mais depuis plusieurs jours déjà, j’ai réalisé que j’étais carrément amoureux de lui. Je
peux pas lui dire, c’est pas ce qu’il veut. Après, il me jettera et il trouvera quelqu’un d’autre qui le satisfera au lit.
Devant son petit air
naïf, Nuno ne put se résoudre à lui dire la vérité. Morgan voyait déjà d’autres hommes, avec qui il ne jouait sûrement pas au Scrabble. Il devait avoir une bonne raison pour ne pas avoir dévoiler
toutes ses activités à Artur, et ce n’était pas à Nuno de s’en mêler. Il n’avait aucun parti à prendre. Il voulait simplement aider son ami.
Il se leva et passa une
main rassurante dans les cheveux d’Artur qui, même s’il avait le même âge que lui, avait toujours un visage d’enfant.
- J’ai pas de conseil à te donner, mais Morgan a eu une vie sentimentale plutôt
compliquée. Peut-être que t’arriveras à le faire changer, mais n’en attends pas trop de lui, tu risquerais de tomber de haut.
Après ce dernier avertissement, il rentra chez lui. Il raconta tout à Tristao, qui ne put s’empêcher d’exprimer son inquiétude
quant à l’avenir de Morgan, inquiétude partagée par Nuno, qui avait aussi de la peine pour le petit et frêle Artur. Ils s’enlacèrent pour se rassurer un minimum, se demandant ce que leur ami
allait devenir
- Tu crois qu’il va s’en sortir ?
Voulut savoir Tristao.
- J’espère Tris’, j’espère, fut la seule réponse que Nuno put lui donner.
***
ENFIN ! La suite de PLV. Désolé pour le petit retard.
J'avais pas écrit cette histoire depuis un moment, j'espère que le chapitre vous a plu.
Il ne reste plus que l'épilogue maintenant^^
Gros bisous à toutes et à très vite !
***